“Chère Sarah, c’est avec plaisir que je te soumets ce texte en relation avec ton ouvrage au titre bien évocateur de l’identité “Vo wällum bisch du ?” (D’où viens-tu?) traduit en “valaisannerie”
par “t’as où les vignes ? ..”T’es le fils à qui ?”.. etc... Ta démarche généalogique s’inscrit dans une volonté de raviver la mémoire de nos ancêtres. Elle révèle ainsi nos racines individuelles et collectives et met en lumière la structure sociale dans laquelle elles ont pris forme. Les recherches généalogiques ont pour mérite de raviver la mémoire de nos ancêtres et de mettre ainsi en valeur nos racines individuelles et collectives. L’ouvrage “Vo wällum bisch du ?” de Sarah Montani s’inscrit parfaitement dans cette perspective puisqu’il s’attache à remonter le fil de nos origines, entre héritage familial et passé commun. L’autrice engage donc ici un travail essentiel qui nous permet de mieux nous relier à notre histoire. Merci à elle ! Le système de patrilinéarité adopté par notre civilisation occidentale – à savoir de définir comme marqueur prédominant l’élément mâle de la famille nucléaire – nous éclaire sur le fait que tel que ce modèle fut construit, volontairement ou non, il se fit au détriment de la transmission de la descendance des femmes. En effaçant les patronymes féminins à chaque génération, la moitié du patrimoine humain, culturel et généalogique se retrouve invisibilisé. Ce biais structurel n’est pas anodin : il révèle une vision
du monde héritée de traditions où la mémoire est d’abord faite par et pour les hommes. Dans ce contexte, il est essentiel de souligner que l’histoire et l’historiographie furent longtemps « une
affaire d’hommes », et par conséquent, une mise en valeur de ces derniers, tant du point de vue des personnages marquants que des faits advenus. Les textes fondateurs (les mythologies, la Bible, le Coran, les lois, etc.) mettent régulièrement en scène des figures héroïques ou divines cantonnant les
femmes à des rôles « secondaires », liés notamment à la procréation et au service. Ce prisme masculin a invisibilisé un pan important de l’histoire, et donc, du savoir. Or, les femmes sont de véritables passeuses de mémoire, des archivistes de l’intime. Bien souvent, ce sont elles qui tiennent et conservent les albums de photographies, transmettent les histoires familiales, les anecdotes, etc. En ce sens, leur invisibilisation n’en est que plus injuste et rend le travail de Sarah Montani d’autant plus précieux.
La généalogie telle que nous l’entendons le plus couramment concerne la conception d’une
arborescence dont la visualisation nous invite à revisiter les noms de nos ancêtres. Cependant, selon
certains philosophes et penseurs, la généalogie peut également servir à une analyse critique des fondements historiques des enjeux de pouvoir liés à des valeurs, et, dès lors, remettre en question leur légitimité à représenter le monde. Aujourd’hui encore, en Suisse, malgré une législation qui autorise les femmes à garder leur nom ou à
transmettre celui-ci à leurs enfants, la majorité choisissent de prendre celui de leur mari. Ce geste, perçu comme naturel ou pratique, est en réalité porteur d’un héritage culturel puissant. Il illustre la persistance des normes patriarcales dans les sphères les plus personnelles de la vie. Chaque époque revisite son passé par rapport à ses nouvelles connaissances et valeurs. Celle que nous vivons est, et sera, le terroir des générations futures. Etant donné la dégradation des sources
fiables indispensables à la transmission du savoir, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’histoire du monde dont on dit qu’elle est écrite par les « vainqueurs ».
L’ouvrage de Sarah Montani doit être lu comme un acte de reconnaissance envers tous nos ancêtres, connus ou inconnus, et un appel à poursuivre ce devoir de mémoire avec curiosité, respect et esprit critique.”